Exposition “Budapest 90”
Philippe Gras se rend en Hongrie au printemps 1990 en qualité de photographe du Festival d’Automne à Paris, dont le directeur général, Michel Guy, avait prévu dès 1988 d’offrir cette année-là un hommage spécial à la musique hongroise. Voyageant en compagnie d’une responsable du Festival, Philippe a pour tâche de photographier les compositeurs et les artistes sélectionnés pour se produire quelques mois plus tard à Paris.
C’est pour lui une découverte. Sa carrière de photographe professionnel s’étend déjà sur plus de vingt-cinq ans. Il a, bien entendu, voyagé en Europe et au-delà au gré de sa curiosité et des Festivals de jazz et de musiques nouvelles, savantes ou populaires, dont il s’est fait une spécialité. Il a ramené d’un séjour en 1983 au Vietnam et au Cambodge un livre de photographies sur Angkor, site alors difficile d’accès. Il s’est rendu en 1989 pour le Festival d’automne au Bhoutan, pays encore très peu pénétré, et y a capté des images d’une qualité ethnographique et artistique exceptionnelles. Et c’est d’un œil neuf qu’il aborde la Hongrie de 1990.
Le pays est à un tournant de son histoire. L’été précédent, le gouvernement communiste hongrois a ouvert le rideau de fer qui court le long de sa frontière avec l’Autriche. Cette première brèche annonce la chute, le 9 novembre, du mur de Berlin. Mais dès oc tobre, le Parti au pouvoir a choisi de se dissoudre, et une nouvelle Constitution a été adoptée. Elle instaure le multipartisme. Des élections libres ont lieu au printemps 1990. Elles portent au gouvernement une coalition formée d’opposants sans concession au système communiste.
Cette transition se fait pour l’essentiel sans heurts. Mais la Hongrie flotte encore entre deux époques. Les nouveaux dirigeants n’ont pas d’expérience gouvernementale. Kádár, évincé en 1988 après plus de trente ans de règne, a laissé le pays lourdement endetté. La fin de l’économie administrée et de la propriété collective provoque, comme partout ailleurs dans l’ancien bloc communiste, la baisse de la production nationale et la régression du niveau de vie. L’ambiance n’est donc pas à la fête dans les rues de Budapest. La démocratie ne remplit pas les ventres. Les vêtements sont pauvres, la ville est grise. L’atmosphère y reste celle de «l’Europe de l’est». Et pourtant l’on y perçoit comme par éclairs les signes du changement.
C’est ce monde à la fois proche et lointain que Philippe Gras ramène à notre mémoire, au fil de ses promenades à la découverte de la capitale hongroise. Car il ne s’est pas contenté de remplir son contrat avec le Festival d’automne. Comme il l’a toujours fait dans ses déplacements, il photographie pour son plaisir les gens à toutes heures du jour et de
la nuit, mais encore les maisons, les ponts, les tunnels… Ces photographies jamais publiées ont été retrouvées dans les archives de Philippe après sa mort brutale en 2007. Elles nous permettent de revoir Budapest à un moment très précis de son histoire, mais aussi dans la dimension intemporelle que lui donnent la majesté de son fleuve, le constraste de ses deux rives, et le génie de ses grands architectes, ingénieurs et urbanistes.
François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Hongrie
Mars 2013 – Tours, Maison de l’Europe
Juin 2012 – Budapest, Institut Français
Mars 2012 – Paris, Institut Hongrois
In ENGLISH
Budapest 90 : a special look, a special period
Philippe Gras went to Hungary in the spring of 1990 as photographer of the Autumn Festival of Paris, the General Manager of which, Michel Guy, had decided two years before to organize a special tribute to Hungarian music. Travelling with a representative of the Festival, Philippe was in charge of photographing composers and artists picked up to perform a few months later in Paris.
Hungary was a complete discovery for him. As a professional photographer, he had travelled around the world for more than twenty-five years, in Europe and beyond, from one Festival to another, driven by his curiosity for all forms of Jazz and music, in their popular or elaborate expressions. In this process, he became more and more widely recognized as one as the best specialists of musical photography. In 1983, he travelled to Vietnam and Cambodia, bringing back a book of photographs of Angkor, the access of which was at this time quite perilous. As photographer of the Paris Autumn Festival, he went in 1989 to Bhutan, capturing images of an exceptional ethnographic and stylistic quality. But when he landed in Hungary one year later, it was with a completely fresh eye.
The country was then at a turning point. The summer before, the Communist government had decided to dismantle the Iron Curtain running along the Hungarian frontier with Austria. This initiative opened the way to the fall of the Berlin Wall on the 9th of November. But in October already, the Hungarian ruling Party had chosen to disappear, leaving behind it a new Constitution introducing a multiparty system and freedom of expression. Free elections took place in the spring of 1990. They brought to power a coalition of fierce opponents to Communism.
This transition took place without serious hindrance. But Hungary was still floating between two periods. The new leaders had no idea of how to rule a country. Kádár, the old communist viceroy, pushed aside in 1988 after a reign of thirty years, had left an economy crumbling under heavy debts. As everywhere in the Communist world, the end of centralized economy and collective ownership was producing a sharp drop in national product and standard of living. The atmosphere was therefore far from cheerful in the streets of Budapest. Democracy did not fill people’s bellies. Clothes were shabby, and grey was the city. The general outlook was of “Eastern Europe”. Once in a while, though, one could perceive faint signals of change.
This is the world at the same time distant and familiar which Philippe Gras brings back to our memory, as he goes strolling through the Hungarian capital city. Of course, he went a little beyond the strict fulfillment of his contract with the Autumn Festival. As always, he captured for his own pleasure, day and night, images of people, as well as images of buildings, of bridges, of tunnels… These photographs were never shown before their discovery in Philippe’s archives, after his sudden death in 2007. They allow us to look at Budapest at a very precise moment of its history. But also in the timeless munificence of its majestic river and in the amazing contrast of its two banks, molded by the genius of its great architects, civil engineers, and city planners.
François Nicoullaud,
Former French Ambassador to Budapest